1893 -1908 : Les années de création solitaire
« […] J’ai beaucoup d’idées nouvelles qui te plairaient énormément […]. J’ai un grand plaisir à travailler […]. Tu vois que ce n’est plus du tout du Rodin […]. » Ces quelques phrases extraites de la lettre que Camille Claudel adresse à son frère en décembre 1893 révèlent l’état d’esprit qui la gouverne désormais.
Séparation avec Rodin
A partir de 1893, Camille Claudel s’éloigne de Rodin et s’isole dans son travail, exaspérée par les critiques, même les plus élogieux, qui s’empressent de rapprocher son travail de celui de son maître. Elle n’aura de cesse de prendre ses distances pour affirmer sa différence et son autonomie. Elle s’engage dans de nouvelles directions et commence les « croquis d’après nature », inspirés du quotidien.
Néanmoins, Rodin, au faîte de sa carrière, continuera discrètement à la soutenir dans le milieu artistique ainsi que financièrement. À la fin de l’année 1893, Rodin loue la villa des Brillants à Meudon où il s’installe avec Rose Beuret. Il en devient propriétaire en 1895.
Rodin succède à Dalou comme président de la section sculpture à la Société nationale des beaux-arts et Camille Claudel est reçue sociétaire. Elle y expose deux œuvres majeures : La Valse (n°37) et Clotho (n°38).
La même année, Paul Claudel commence une carrière consulaire qui le tiendra éloigné de sa famille. Il prend ses fonctions de vice-consul à New York en avril, puis de consul suppléant à Boston en décembre. L’éloignement de Paul coïncide avec l’amorce de la séparation avec Rodin.
En 1894, Camille Claudel expose au Salon de la Société nationale des beaux-arts (Le Dieu envolé, La Petite Châtelaine, bronze) ainsi qu’au Salon de la Libre Esthétique à Bruxelles (La Valse, Contemplation, Psaume et Premier Pas).
Premières commandes
En 1895, Camille Claudel reçoit deux commandes : en janvier, Clotho en marbre pour commémorer le banquet donné en l’honneur de Puvis de Chavannes, puis, en juillet, sa première commande par l’État : L’Âge mûr.
Les rapports de l’inspecteur Dayot permettent de suivre les étapes de l’élaboration de cette création majeure dans le parcours de l’artiste. Les différentes maquettes sont conservées au musée Rodin. En définitive, l’État n’honorera pas sa commande pour des raisons obscures. Quant à la Clotho, le marbre disparaîtra étrangement du musée du Luxembourg.
Au Salon de la Société nationale des beaux-arts, Camille Claudel expose Jeanne enfant, en marbre (n° 20), Buste de Léon Lhermitte, en bronze (n° 21), Étude d’après un Japonais, en plâtre (n° 22), et Confidence, en plâtre (n° 23).
En juin 1895, Paul Claudel part pour Shanghai.
L’indépendance
En 1896, Camille Claudel fait deux rencontres importantes : Mathias Morhardt, rédacteur au journal Le Temps, et la comtesse de Maigret, qui sera sa principale mécène jusqu’en 1905.
Au Salon de l’Art nouveau de 1896, elle expose une version de La Valse en grès flammé Muller et un plâtre des Causeuses dont un exemplaire est conservé au musée de Nogent-sur-Seine. Au Salon de la Société nationale des beaux-arts, elle présente La Petite Châtelaine, en marbre (n°24 bis).
En mars 1898, Morhardt publie dans Le Mercure de France la première biographie de l’artiste. Celle-ci charge le journaliste de convaincre Rodin de ne plus lui rendre visite pour apporter la preuve qu’il n’intervient pas dans la création de ses œuvres et elle rompt définitivement avec en louant un atelier 63, rue de Turenne.
Au Salon de la Société nationale des beaux-arts, sont présentés cette année-là Hamadryade (n° 35), Profonde pensée (n° 36) (un exemplaire en marbre et bronze au musée de Nogent-sur-Seine) et Buste de Monsieur X... (n°36 bis).
Installation quai Bourbon
En janvier 1899, Camille Claudel s’installe dans l’île Saint-Louis, au 19, quai Bourbon, son dernier logement atelier où elle vit et travaille recluse. Elle est en pleine possession de son art.
Elle expose les œuvres suivantes : Portrait de Monsieur le comte de M... (Maigret), en marbre (n° 26), Clotho, en marbre (n° 27), L'Âge mûr, en plâtre (n° 28), Persée, en plâtre (n° 29).
En juin, le bon de commande pour le bronze de L’Âge mûr est rédigé puis annulé dans des conditions obscures par le directeur des Beaux-Arts, Henry Roujon. Camille Claudel tient Rodin pour responsable. Elle rencontre le capitaine Tissier qui, malgré ses moyens limités, permettra la fonte de L’Implorante par Gruet en 1899 puis le tirage de L’Âge mûr (exposé au Salon des artistes français en 1903).
L’Exposition universelle de 1900
À l’Exposition universelle de Paris, Camille Claudel expose Profonde pensée, en marbre (n° 139), Rêve au coin du feu, en plâtre, (n° 140), Ophélie (Hamadryade) (n° 141).
Son frère Paul séjourne en France de janvier à septembre puis repart pour la Chine, à Foutchéou.
Les éditions en bronze
Sa dernière participation au Salon de la Société nationale des beaux-arts date de 1902 : Persée en marbre, grandeur nature (n° 47), Buste de la comtesse de Maigret (n° 48), Alsacienne, terre cuite patinée argent (n° 49), fonte de L’Âge mûr par Thiébaut frères pour le capitaine Louis Tissier (conservée au musée d’Orsay). A partir de 1903, Camille Claudel expose soit au Salon des artistes français, soit au Salon d’automne.
Sa rencontre avec le marchand-éditeur Eugène Blot (1857-1938) par l’intermédiaire de Gustave Geffroy, permettra la diffusion de l’œuvre de Camille Claudel. La galerie d’Eugène Blot, située 5, boulevard de la Madeleine, est célèbre dans le monde des amateurs d’art. Elle expose les grands noms de l’impressionnisme. Eugène Blot possède lui-même une belle collection de Carrière, Rodin, Renoir, Sisley, Monet, Pissarro, Degas... Il a hérité de son père une fonderie qu’il continue d’exploiter. Cette rencontre est capitale pour la pérennité de l’œuvre de l’artiste quand on connaît les destructions qu’elle fera subir à ses sculptures dans les moments de détresse.
À partir de 1904, Eugène Blot édite en bronze une quinzaine de ses sculptures, dont La Joueuse de flûte. En 1905, il acquiert La Fortune présentée au Salon d’automne l’année précédente (un exemplaire au musée de Nogent-sur-Seine).
« Camille Claudel, statuaire »
De retour de Chine en avril 1905, Paul Claudel publie, en juillet, l’article « Camille Claudel statuaire », dans le journal L’Occident. Le frère et la sœur passent une partie du mois d’août ensemble dans les Pyrénées. Elle en rapporte des esquisses pour un Buste de Paul à trente-sept ans.
Camille Claudel expose à la fois au Salon des artistes français (Vertumne et Pomone, marbre ; La Sirène, bronze) et au Salon d’automne (L’Abandon, bronze) (un exemplaire au musée de Nogent-sur-Seine).
En décembre 1905, Eugène Blot lui consacre une exposition dans sa galerie. Apparaissent déjà onze références en bronze : Imploration, en deux tailles, Persée, Rêve au coin du feu, La Fortune, Intimité, Vieille femme, Sirène, L’Abandon, La Valse et Les Bavardes. Ces bronzes sont présentés dans le fonds permanent de la galerie et seront régulièrement exposés dans des manifestations de groupe. Au cours de la soirée suivant l'inauguration, Camille Claudel s'emporte et son comportement fait scandale. La violence de son attitude, ses démonstrations choquantes l’éloignent de ceux qui sont restés ses amis, ses proches.
En 1906, l’artiste obtient une commande de la direction des Beaux-Arts : un tirage en bronze de Niobide blessée (déposé au musée des Beaux-Arts de Poitiers). L’année suivante, par l’intermédiaire d’Eugène Blot, l’État achète un tirage en bronze de L’Abandon (déposé au musée de Cambrai).
Après le départ de son frère Paul pour la Chine en 1906, Camille Claudel cesse toute activité créative et entreprend la destruction de ses sculptures. Eugène Blot lui consacre néanmoins deux autres expositions dans sa galerie en 1907 et 1908. La galerie Bernheim-Jeune présente également des portraits d’hommes de Camille Claudel fin 1907.